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TERRES ET SOUVERAINETÉ ALIMENTAIRE:

LES DÉFIS DES POPULATIONS AUTOCHTONES DE SÃO PAULO

En 2014, le problème de l’insécurité alimentaire des peuples autochtones au Brésil méritait l’attention de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) qui, reconnaissant le progrès du Brésil dans la lutte contre la pauvreté et la faim, a souligné que les populations autochtones souffraient encore de l’insécurité alimentaire dans le pays. Ainsi, bien que le Brésil au cours de cette période ait réduit de moitié la proportion de la population souffrant de la faim, plusieurs indicateurs ont démontré que les autochtones et les quilombolas[1] étaient considérés comme des populations vulnérables ne bénéficiant pas de ces avancées. La FAO a estimé que les communautés autochtones vivent dans des conditions très défavorables qui les empêchent d’accéder à une nourriture saine et suffisante.

Dans la deuxième édition de l’étude, lancée en 2015, l’agence des Nations Unies a souligné l’urgence de s’attaquer aux inégalités persistantes dans certains groupes de population, en particulier les peuples autochtones et les autres communautés traditionnelles. La FAO a placé la création et le renforcement de politiques publiques fédérales, étatiques et municipales pour ces tranches de la population brésilienne parmi les quatre principaux défis du Brésil dans les années à venir.

La réalité de l’insécurité alimentaire et de l’inégalité des peuples autochtones en Amérique latine a également préoccupé la Banque mondiale. Dans une étude lancée en février 2016, la Banque mondiale a réalisé une publication intitulée «L’Amérique latine autochtone au XXIe siècle – La première décennie», dans laquelle elle a prévenu que malgré la réduction sans précédent de la pauvreté en Amérique latine qui avait permis à plus de 70 millions de personnes de sortir de la pauvreté au cours de la première décennie du 21e siècle, cette avancée n’avait toutefois pas profité aux populations autochtones de la région de la même manière.

[1] Les Quilombolas sont des communautés constituées de personnes afro-descendantes dont les ancêtres ont fui l’esclavage sur le continent latino-américain.
© Carlos Penteado

Les populations autochtones de São Paulo

5% de la population autochtone du Brésil vit dans l’État de São Paulo [2]. Au sein de celui-ci, la majorité de cette population (91%) vit dans les zones urbaines situées en dehors des terres autochtones. Cependant, il existe encore environ 5000 personnes issues de ces populations qui vivent sur des terres indigènes (régularisées ou en cours de régularisation).

Le dilemme auquel sont confrontés la plupart des villages autochtones de l’État de São Paulo est de garantir une nourriture saine et adéquate sur des terres qui ne disposent pas des conditions nécessaires à leur survie physique et culturelle. Même les peuples ayant des terres déjà régularisées rencontrent des difficultés pour promouvoir leur souveraineté alimentaire.

La souveraineté alimentaire des peuples autochtones est directement liée à la garantie de leurs territoires. «Pour nous la terre est tout. Sans terre, nous ne sommes rien: nous ne vivons pas, nous n’avons pas de culture. Une fois la terre délimitée, nous avons un espace pour aménager les champs, planter, pour vivre à notre manière. Sans terre, la communauté n’existe pas, il n’y a pas de vie », explique Sérgio Martins Popyguá, Terre autochtone d’Aguapeú.

La réalisation du droit à la terre est sans aucun doute la première étape fondamentale pour garantir la souveraineté alimentaire des peuples autochtones. L’autonomie de la propriété et le plein accès aux ressources naturelles sont les conditions pour la production d’aliments correspondant à leurs besoins et à leur culture alimentaire. Pour l’anthropologue Maria Emília Pacheco, il n’est pas possible de parler de lutte contre l’insécurité alimentaire sans s’interroger sur la démarcation et la possession de terres et le dumping abusif de pesticides. « Sans la question territoriale, qui est une question fondamentale, il est très difficile de parler de souveraineté alimentaire des peuples autochtones », a-t-elle souligné.

Dans l’État de São Paulo, la sécurité territoriale reste un défi, puisque seulement 13 des 31 terres autochtones reconnues par la Funai (Fundação Nacional do Índio – Fondation Nationale des populations indigènes) sont délimitées et approuvées. Le problème de l’insécurité alimentaire, cependant, est vérifié même dans les terres délimitées, car la plupart d’entre elles ne disposent pas des conditions adéquates pour leur survie physique et culturelle. Des terres minuscules, une population croissante faisant pression sur des ressources naturelles limitées et de nouvelles habitudes de consommation sont parmi les facteurs d’insécurité alimentaire des peuples autochtones de São Paulo qui ont un faible accès à la nourriture, tant qualitativement que quantitativement.

[2] L’État de São Paulo est le plus grand centre économique et industriel du Brésil. Le processus d’occupation de la région a fini par confiner les peuples autochtones dans des terres de petite taille, ce qui, avec la croissance de la population autochtone et l’adoption de nouvelles habitudes alimentaires, a créé le scénario de l’insécurité alimentaire.

Les risques d’abandonner la diète traditionnelle

De plus en plus, les populations autochtones de São Paulo dépendent de non-indigènes pour assurer leur alimentation, ce qui affecte bien évidemment leur autonomie et leur durabilité.

L’accès à la nourriture dans les villages de l’État de São Paulo se fait par des dons (paniers alimentaires de base), mais aussi par l’achat de nourriture, avec des ressources provenant de la vente d’artisanat, de travailleurs salariés, de pensions et du programme Bolsa Família [3], et non par l’agriculture, la chasse et la pêche. Mais les sources actuelles ne garantissent pas une nourriture de qualité et en quantité suffisante.

« Autrefois, la vie était meilleure, plus saine. Il était difficile d’obtenir de la nourriture, mais c’était plus sain, plus culturel. Aujourd’hui, pour survivre, il faut travailler pour gagner de l’argent. »

Márcia Voty, Terre autochtone de Tenondé Porã

© Carolina Bellinger

Le changement d’habitudes alimentaires, souvent dû à la difficulté de se procurer de la nourriture grâce à des pratiques anciennes telles que la chasse et la pêche, a des conséquences sur la santé du peuple autochonte Guarani.

L’endocrinologue João Paulo Botelho Vieira Filho avertit que l’abandon progressif du régime traditionnel et l’incorporation d’aliments industrialisés (parfois fournis par le gouvernement fédéral lui-même), associés à l’abandon de l’effort physique de chasse, ont porté atteinte à la santé des peuples autochtones dans tout le pays.

Le diabète de type 2 à grande échelle (acquis suite aux habitudes alimentaires) chez les populations indigènes est dû à un facteur génétique important: le gène ABCA1, présent uniquement chez les Amérindiens. La variante génétique est liée à l’accumulation d’énergie et de graisse pour protéger le corps contre les périodes de sécheresse et de faim.

[3] Il s’agit d’um programme fédéral d’aide sociale introduit em 2003 par le gouvernement Lula da Silva.

Alimentation scolaire: comment intégrer les pratiques et les savoirs autochtones

L’alimentation scolaire est particulièrement importante pour les peuples autochtones de São Paulo qui vivent une réalité d’insécurité nutritionnelle dans laquelle l’école est un moyen important de renforcer le régime alimentaire des enfants. Cependant, comme nous l’avons déjà souligné la nourriture offerte dans les écoles aujourd’hui ne se compose pas d’aliments sains et ne respecte pas la culture alimentaire des peuples autochtones.

Les critiques concernant la nourriture actuellement offerte dans les écoles autochtones de São Paulo sont une constante. Les éducateurs autochtones se plaignent de dénoncer la situation depuis des années sans que des mesures efficaces ne soient prises pour renverser la situation. En général, le menu ne tient pas compte de la culture alimentaire indienne et comprend de nombreux aliments transformés de qualité médiocre.

La Comissão Pró-Índio de São Paulo (CPI-SP) a encouragé des initiatives visant à débattre de la souveraineté alimentaire des peuples autochtones de São Paulo et, plus particulièrement, de la nécessité de garantir des repas scolaires sains et adaptés à la culture. Parmi les initiatives entreprises figurent les expériences des femmes autochtones en matière de cuisine, d’échange de recettes et de réflexion sur l’alimentation et la culture, ainsi que la promotion de débats avec la présence de différents acteurs (éducatreurs et éducatrices, dirigeants autochtones, représentants des gouvernements fédéral, étatiques et municipaux et des ONGs. Depuis 2015, la CPI-SP conseille les populations autochtones de Piaçaguera, sur la côte sud de l’État, dans la lutte pour améliorer la qualité des repas scolaires.

© Carlos Penteado